Crash aérien

A l’entente des premières paroles du rouquin, le morceau de pomme qu’elle mâchonnait se coinça dans sa gorge. Lynn se ressaisit, ne voulant pas laisser paraître qu’elle était mal à l’aise, et s’empara de sa carte. Elle eu envie de la jeter, vu qu’elle n’en voyait plus l’utilité, mais la remit simplement dans la poche de sa veste.

Elle tourna légèrement les yeux vers Reno lorsque celui-ci s’assit. Il parvenait à sourire. En fait, il donnait l’impression de pouvoir sourire devant n’importe quoi. La plupart des gens trouveraient certainement qu’il s’agit d’une qualité, une bonne vision de la vie, mais la blanche se sentait un peu frustrée de ne pas avoir reçu également cette bonne vision. Mais qu’est ce qu’elle racontait là ! Des conneries, fallait qu’elle se ressaisisse. Au moins, elle, elle savait que la vie était cruelle, pas comme l’autre imbécile heureux qui était à ses côtés. Ses doigts raffermirent leur prise sur la pomme et elle allait croquer dedans une nouvelle fois quand les propos du rouquin la firent se stopper.

« - Tais-toi et mange. » lui répondit-elle, glaciale et sèche comme un vent d’hiver.

La jeune femme mordit dans son fruit, le visage fermé. S’il n’était pas content, il avait qu’à se lever et partir lui-même à la recherche de nourriture.

Lynn rouvrit ses paupières et leva ses yeux gris vers le Turks. Elle aurait préféré partir immédiatement, la forêt avait beau paraître sûre en plein jour, il ne devait pas en être de même la nuit. Mais elle se contenta de hausser les épaules.

« - Comme tu veux. » dit-elle avec un certain détachement dans la voix.

Les restes carbonisés du reptile dégagèrent une odeur forte, mais pas autant désagréable que celle d’un corps humain. Elle chassa prestement l’image du cadavre cramé tombé du ciel et retourna à sa contemplation du feu.

Lynn ne pu cacher son petit sourire amusé face à la réaction du roux. Elle se reprit en toussotant, et fit un vague geste négatif de la main.

« - Ça va, j’ai compris, j’vais faire les fonds de tiroir. »

On a tous des cachettes spéciales pour stocker son argent, spéciales mais souvent farfelues… La blanche ne faisait pas exception. Elle défit quelques boutons de sa veste et de sa chemise, attrapa les billets coincés dans la pochette cousue exprès dans le soutien-gorge avant de rattacher illico après les boutons. D’accord, c’était plutôt suggestif comme endroit où stocker son argent, et pas très facile d’accès non plus, mais au moins, rares étaient les personnes qui allaient fouiller jusque là. Elle compta mentalement la somme que représentaient les bouts de papiers et se dit qu’ils avaient quand même de quoi se nourrir.

« - On va manger un morceau d’abord ? » ajouta-t-elle avec un fin sourire.

Elle se demanda comment il pouvait avoir encore faim après avoir mangé plus de la moitié du lézard… La jeune femme secoua légèrement la tête, pas envie de réfléchir à ça maintenant. Elle fit quelques pas en direction de la ville, s’arrêta pour voir si Reno se décidait et lui adressa un signe de tête pour lui dire de se dépêcher, les restaurants ne les attendraient pas avant de fermer leurs portes.

Lynn s’assit donc sur la chaise présentée, la mine un peu renfrognée. Elle n’avait pas vraiment l’habitude de se faire qualifiée de ‘poulette’… Mais en repensant aux paroles du rouquin, elle eu un petit sourire espiègle. Elle attendit qu’il soit bien installé en face d’elle pour lui poser la petite question qui venait nouvellement de trotter dans sa tête, mais la grosse assiette fumante que le barman posa devant chacun d’eux ne lui laissa pas le temps d’en placer une. Le liquide semi-épais qui remplissait ces assiettes dégageait une douce odeur saline, rappelant celle des bords de mer.

« - Soupe aux algues et à l’Adamantamai, précisa l’homme. Vous buvez quelque chose ? »

Ils passèrent commande, que le tavernier leur apporta en compagnie d’un petit trousseau contenant une clé ainsi qu’une plaquette sur laquelle était inscrit le numéro de chambre. Après quoi, il retourna derrière son bar pour terminer sa vaisselle. La blanche reprit son sourire malicieux.

« - Et en plus elle quoi ? » fit-elle avant de prendre une cuillérée de soupe.

Lynn baissa la tête vers son assiette, continuant de manger silencieusement. D’ordinaire, elle aurait lancé une remarque bien cinglante à l’adresse du barman mais elle était trop fatiguée pour ça. Et puis, elle n’en avait pas vraiment envie non plus. La soupe la réchauffa à fur et à mesure qu’elle l’avalait, et, comme l’avait dit l’autre roux, elle était vraiment délicieuse. Rien qu’à l’odeur, la jeune femme s’était attendue à une chose incroyablement salée, et donc immangeable, mais il n’en était rien.

Son assiette se vida doucement mais sûrement. Une fois qu’elle eu terminée, Lynn promena son regard sur la salle vide de toute animation. Bientôt, une bonne douche ainsi qu’un bon lit douillet. Rien que d’y penser, ses yeux se fermaient d’eux-mêmes. Elle dû lutter pour les garder bien grand ouverts, s’aidant de son jus d’orange pour se maintenir éveillée.

Se disant qu’il ne servait à rien d’attendre et de jouer les zombies à moitié conscients, la blanche se leva, s’empara de la clé de la chambre et alla jusqu’au comptoir. Les petites fioles exposées dessus attirèrent son attention. Elle reconnut sans problème le symbole utaïen qui en désignait le contenu. Du véritable saké de la région. Une expression nostalgique passa rapidement sur son visage. Ce serait peut-être une bonne raison pour lui faire sa visite du mois… Elle ajouta une des fioles à l’addition, la rangea dans une poche de l’intérieur de sa veste et paya.

« - Je laisse la porte ouverte, mais traînes pas trop non plus. » conseilla-t-elle à Reno tout en prenant les escaliers qui menaient aux chambres.

La porte grinça un peu mais dévoila un intérieur propre et chaleureux. Seul hic, un lit double. Mais trop tard pour changer, et de toute manière, elle n’avait pas de quoi demander une autre chambre. Bah ! Elle verrait plus tard, pour l’instant, le plus important était de se décrasser. Lynn mit la porte d'entrée contre, s’enferma dans l’étroite salle de bains, se déshabilla rapidement et se jeta sous l’eau chaude.

Au son de la voix du roux, Lynn rouvrit les yeux, se redressa et referma la fenêtre. Si le froid envahissait de trop la pièce, ils seraient incapables de passer une bonne nuit. Elle poussa un léger soupir et se retourna, finalement décidée à quand même partager le lit avec Reno. Son visage prit une soudaine expression étonnée en voyant la serviette qui entourait la taille du jeune homme.

« - Tu comptes vraiment dormir avec ça ? »

Sa voix avait légèrement tremblé, dévoilant un peu la confusion qui régnait dans son esprit. Mais une chose était sûre, il était hors de question qu’il reste dans cette tenue ! Haussant les épaules, la blanche alla s’asseoir sur la chaise. C’était soit ça, soit elle le foutait à la porte - c’était elle qui payait la chambre après tout - mais n’étant quand même pas inhumaine à ce point, elle préférait sacrifier le moelleux du matelas plutôt que de dormir avec un homme nu comme un ver. Elle prit sa veste, la plaça sur elle comme s’il s’agissait d’une courte couverture et se cala le plus confortablement possible

« - Bonne nuit. » grommela-t-elle en refermant ses yeux.

Lynn fit la moue, croisant les bras et fixant obstinément un point invisible sur le plafond. Une blague d’accord, mais il avait la mémoire d’un poisson rouge ou alors… il faisait comme si rien ne s’était passé ? Elle eu un pincement au cœur. Elle ne voulait pas qu’il se comporte comme avant, c’était trop… dangereux pour lui. La blanche se glissa sous le drap en fine toile et tourna le dos au rouquin.

Ses doigts s’enfoncèrent dans l’oreiller. Il fallait qu’elle s’endorme, avant de se mettre à réfléchir. Non, elle avait besoin de réfléchir. Que faire ? Elle avait tout fait pour que Reno la haïsse, mais rien n’avait visiblement fonctionné. Peut-être qu’elle devrait mettre les points sur les i une dernière fois. Elle se retourna brusquement, le regard sérieux.

« - A quoi tu joues ? Je te traites comme un moins que rien et toi tu continues à t’accrocher. C’est de l’idiotie ou du masochisme ? »

Elle fronça ses yeux gris, se maudissant intérieurement d’avoir relancé le sujet, sachant parfaitement que ça allait une fois de plus tourner à la dispute. Tant pis, elle avait besoin de savoir, le sommeil viendrait après.